Bien que dominé depuis toujours par des marques renommées telles que Ford, Toyota ou Volkswagen, le marché européen de l’automobile prend un virage net vers de nouveaux constructeurs.
En pratique, cette vague d’arrivants sur le marché européen compte aussi bien des nouvelles marques que des entreprises existantes, mais dont la présence en Europe était encore timide il y a dix ans. Leur arrivée s’accompagne d’un volume des ventes conséquent, et parfois d’une approche innovante des rapports au marché, avec une remise en question des normes industrielles existantes et des modèles de distribution classiques.
Contrairement aux constructeurs historiques que sont Volkswagen AG ou Stellantis (dont Peugeot, Opel et Citroën sont les filiales les plus connues), bien implantés sur le marché européen, nombre de ces nouveaux constructeurs étaient jusqu’ici inconnus au bataillon.
Tesla est le parfait exemple d’une entreprise ayant provoqué une véritable onde de choc sur le marché européen de l’automobile. Son approche, caractérisée par la vente directe et l'absence des remises, a révolutionné les ventes classiques et les canaux de distribution du continent.
De fait, ses excellentes performances commerciales depuis 2020 (avec une croissance d’une année sur l’autre de plus de 70 %[LL3] des ventes de voitures particulières entre 2020 et 2021), ainsi que l’arrivée concomitante d’autres constructeurs sur le marché européen, témoignent de la forte demande des consommateurs en véhicules innovants et plus durables
Nouveaux constructeurs : évolution du marché européen entre 2020 et 2024
La période 2020-2024 a marqué une profonde mutation du paysage automobile européen, dont la hiérarchie et la dynamique habituelles ont été bousculées par l’arrivée en force de nouveaux constructeurs.
Si gagner la confiance des consommateurs européens relève du défi, la conserver exige encore plus d’efforts et de ressources, entre investissements, certifications et savoir-faire.
Malgré tout, cette difficulté n’a pas empêché nombre de nouveaux arrivants d’établir leur présence sur le marché européen au cours des dernières années. Entre 2020 et 2022, plus de dix nouveaux constructeurs de véhicules électriques se sont ainsi implantés en Europe, dont BYD, MG et Polestar. Une réussite qui fait des émules, bien décidés à s’étendre au marché européen dans un avenir proche.
Comme le souligne McKinsey & Company, leurs stratégies de mise sur le marché varient sensiblement :
- Ventes directes réalisées chez les concessionnaires de la marque, comme c’est le cas de Xpeng, qui permet une relation directe avec les clients, construite à travers ses propres canaux en ligne et hors ligne
- Partenariats avec des distributeurs locaux, qui permet aux constructeurs d’exploiter des canaux de vente bien ancrés et leur offre un certain contrôle sur l’expérience client
- Modèles centrés sur l’importation, dans le cadre desquels les entreprises (BYD, par exemple) vendent leurs véhicules à des grossistes qui se chargent entièrement de la promotion, des ventes et du service client
- Modèles associant importations et partenariats avec des distributeurs, ce qui signifie que les constructeurs ne vendent pas directement aux clients, mais qu’ils recherchent tout de même des interactions directes avec ces derniers
La présence de ces nouveaux constructeurs en Europe a accéléré drastiquement l’électrification et la transition numérique du secteur, puisque les constructeurs historiques ont été contraints d’améliorer leurs processus d’innovation et d’adopter des pratiques plus agiles et plus durables.
La durabilité est au cœur des préoccupations. L’arrivée de Tesla et de ses modèles tout électrique sur le marché de l’automobile a poussé d’autres grands noms, parmi lesquels Volkswagen et BMW, à booster la stratégie d’électrification de leurs modèles.
Des marques historiques ont par ailleurs établi des partenariats avec des entreprises chinoises en vue de soutenir la production de certains modèles. C’est le cas de l’usine BMW basée à Shenyang, en Chine, qui emploie 100 % d’énergie renouvelable et aide BMW à atteindre ses objectifs de réduction de l’empreinte carbone dans le cadre de ses activités.
Cette disruption alimente naturellement la concurrence, avec une multiplication des options disponibles pour les consommateurs, et pourrait même engendrer une baisse des prix du marché des véhicules électriques et à combustion interne.
Quels sont les facteurs d’émergence des nouveaux constructeurs ?
En Europe, cette émergence découle d’une multitude de facteurs interconnectés, qui dans l’ensemble contribuent à l’évolution du marché, tout en plaçant les consommateurs et l’innovation au centre des priorités.
Le marché, la technologie et l’évolution des réglementations sont autant de facteurs contribuant à l’émergence de nouveaux constructeurs en Europe :
- Hausse de la demande en véhicules électriques et de leur disponibilité : face à la demande croissante en véhicules électriques et à leur adoption subséquente (pour une part de marché de 22 % des nouveaux véhicules en UE en 2022), le contexte est favorable aux nouveaux constructeurs spécialisés dans la production de véhicules électriques.
- Gain de sécurité et d’efficacité grâce aux nouvelles technologies : les progrès technologiques sont l’occasion pour les constructeurs automobiles déjà spécialisés dans ces domaines de se distinguer sur le marché. De fait, l’intérêt croissant des consommateurs en véhicules équipés de systèmes d’aide à la conduite (ADAS) a permis aux nouveaux acteurs de l’industrie spécialisés en logiciels et équipements (plutôt que limités aux équipements) de gagner la confiance des consommateurs.
- Un élan vers la durabilité : préoccupation grandissante des consommateurs européens, la durabilité (enjeu sur lequel l’Europe se positionne en leader mondial) influence les préférences de ces derniers lors du choix d’un nouveau véhicule. C’est un autre avantage pour les nouveaux constructeurs, puisqu’il est plus facile de partir de zéro pour mettre en place des processus de fabrication agiles.
- Amélioration de la technologie des batteries : les investissements réalisés dans la technologie des batteries, notamment en quête d’alternatives aux batteries lithium-ion, sont un des atouts majeurs des nouveaux constructeurs face à la concurrence des marques traditionnelles, d’autant plus que ces technologies ont toujours fait l’objet de financements considérables en Asie. Il est à noter toutefois que l’entrée en vigueur du Net-Zero Industry Act (« législation sur l’industrie zéro émission nette ») marque la volonté de l’UE de renforcer la fabrication locale de technologies énergétiques propres, notamment celle des batteries.
- Normes en matière d’émissions et incitations à l’électrification des véhicules : un nouvel environnement réglementaire, propice à l’implantation de nouveaux constructeurs de véhicules électriques, émerge avec le durcissement des normes en matière d’émission, la création de zones à faibles émissions et d’autres mesures incitatives concernant l’électrification des véhicules.
- Multiplication des investissements dans la recherche et le développement : les politiques de réduction de l’empreinte carbone du secteur des transports engendrent une multiplication des investissements en faveur de la recherche et du développement pour les nouvelles options de mobilité durable en Europe.
Quels sont les défis à relever pour les nouveaux constructeurs ?
Si les facteurs favorables à leur pérennité et à leur croissance sont nombreux, les nouveaux constructeurs n’en sont pas moins confrontés à des défis considérables en Europe. Penchons-nous sur la question.
- Concurrence des acteurs historiques
Pour les nouveaux arrivants, la route n’est pas dégagée : ils sont en concurrence directe avec des constructeurs bien établis, forts de ressources importantes et de chaînes d’approvisionnement bien ancrées dans le paysage automobile et, surtout, de la confiance des consommateurs.
Grâce à leurs ressources, les constructeurs « historiques » bénéficient d’une économie d’échelle et sont à même de négocier de meilleurs prix auprès des fournisseurs, sans compter les investissements considérables dans la R&D, ce qui pourrait freiner les nouveaux constructeurs en les empêchant de concurrencer leurs prix, leur capacité d’innovation et leur présence sur le marché.
- Reconnaissance des marques et fidélité des consommateurs
Un des principaux atouts des constructeurs traditionnels est la confiance des consommateurs. Sur ce point, tout est à faire pour les nouveaux arrivants, qui doivent développer avec soin leur identité de marque et gagner la confiance des consommateurs sur un marché où l’héritage est un argument de poids pour les décisions d’achat.
- Services après-vente
Si les constructeurs traditionnels s’appuient déjà sur un réseau étendu de garages à travers l’Europe, les nouveaux arrivants doivent quant à eux développer ces réseaux de A à Z, ou bien s’associer avec des centres automobiles et distributeurs locaux pour offrir des services après-vente complets.
Le service après-vente est une attente majeure des consommateurs européens, qui exigent une assistance rapide, fiable et accessible. Des critères parfois difficiles à satisfaire pour les nouveaux arrivants, alors même qu’un service après-vente réputé fiable est indispensable pour la vente croisée et la vente incitative tout au long du cycle de vie du client.
- Exigences réglementaires et conformité
L’environnement réglementaire complexe, sujet à des évolutions rapides, du secteur automobile européen pose un autre défi de taille aux nouveaux constructeurs.
La réglementation européenne du secteur automobile, notamment en ce qui concerne les émissions de CO2 et la sécurité, place la barre très haut pour les nouveaux arrivants. De fait, la conformité réglementaire exige un investissement considérable dans la technologie et les tests, ce qui pèse sur les nouveaux constructeurs aux ressources limitées, sans oublier que les processus de certification et d’homologation des nouveaux véhicules sont souvent chronophages et onéreux.
En Europe, quelles sont les perspectives d’avenir des nouveaux constructeurs ?
La vague d’électrification, menée de front par des entreprises comme Tesla, prouve l’importance accordée par les consommateurs à la durabilité. Une tendance d’autant plus forte qu’elle est accélérée par le durcissement des normes en matière d’émissions carbone. Sur le continent européen, où le véhicule électrique bénéficie d’un environnement favorable, tant économique que réglementaire, les nouveaux constructeurs devraient facilement trouver un créneau.
En ce sens, le règlement (UE) 2019/631 fixe des normes de performance plus strictes en matière d’émissions de CO2, qui s’appliqueront aux nouveaux véhicules particuliers à compter de 2025 en vue d’atteindre l’objectif de réduction de 50 à 55 % des émissions de CO2 pour les nouvelles voitures et vans en 2030 (par rapport à 2021), ainsi que l’objectif zéro émission nette fixé à 2035. Ces objectifs ambitieux nécessitent une forte adoption des véhicules électriques, ce qui donne aux nouveaux constructeurs l’occasion rêvée de conquérir le marché européen.
Ce contexte présage d’une trajectoire de croissance continue pour les nouveaux constructeurs en Europe, qui pourront compter sur leur agilité, leur alignement sur les tendances de marché émergentes et, éventuellement, sur la confiance tout juste acquise des consommateurs.
Les nouveaux constructeurs sont aussi du côté du progrès, et devraient repousser les limites de l’innovation, en particulier pour la technologie des batteries, contribuant de ce fait à la réduction des émissions et à la transition vers la mobilité durable.
Par ailleurs, ces acteurs sont susceptibles d’explorer de nouveaux modèles commerciaux, comme le mobility-as-a-service (MaaS), qui offre une alternative à l’achat classique de véhicules et propose des options de mobilité plus flexibles aux particuliers comme aux entreprises.
L’intégration des véhicules aux infrastructures globales de la ville intelligente est aussi l’occasion d’innover dans l’optique de réduire le trafic et la congestion urbaine.
De même, la priorité croissante accordée à la sécurité des passagers et des piétons contribuera à une réduction du taux de mortalité : sur ce point, une analyse du McKinsey Center for Future Mobility énonce une vision « zéro accident » pour la mobilité européenne d’ici 2050.
Malgré une concurrence féroce, le contexte est fortement propice aux partenariats entre constructeurs historiques et nouveaux, ainsi qu’entre les nouveaux constructeurs et les distributeurs traditionnels. La complémentarité de leurs forces, alliant prouesse technologique et agilité des nouveaux arrivants avec la présence, l’expérience et la clientèle des constructeurs et distributeurs traditionnels, ouvre la voie à une véritable synergie et à l’échange des connaissances et expériences.
En conclusion
L’arrivée de nouveaux constructeurs sur le marché européen de l’automobile aura un impact déterminant sur l’innovation et la concurrence. Par conséquent, les parties prenantes du secteur doivent anticiper l’évolution du paysage et s’adapter aux dynamiques changeantes du marché.
En parallèle, des tensions géopolitiques pourraient néanmoins impacter le secteur à l’avenir en cas de perturbation de la chaîne logistique ou d’une pénurie des semiconducteurs et autres composants critiques des véhicules modernes, notamment les véhicules électriques. De telles perturbations compromettent la capacité des nouveaux constructeurs à répondre aux demandes des consommateurs et à maintenir des prix compétitifs.
Les frais de douane et normes d’import-export influent également sur les coûts et la disponibilité des véhicules et pièces automobiles. De plus, l’entrée sur le marché et la vitesse d’adoption des technologies sont tributaires de la réglementation en matière d’environnement et de sécurité.
À l’avenir, la collaboration entre acteurs historiques et innovateurs émergents pourrait façonner l’avenir sous le signe de la mobilité durable, d’une compétition accrue et d’une accélération des progrès technologiques. Conséquence de tout cela, l’écosystème européen de l’automobile en ressortira plus dynamique et plus réactif.